De quoi ça parle ?
« L'île où se déroule cette histoire est depuis toujours
soumise à un étrange phénomène : les choses et les êtres semblent promis à une
sorte d'effacement diaboliquement orchestré. Quand un matin les oiseaux
disparaissent à jamais, la jeune narratrice de ce livre ne s'épanche pas sur
cet événement dramatique, le souvenir du chant d'un oiseau s'est évanoui tout
comme celui de l'émotion que provoquaient en elle la beauté d'une fleur, la
délicatesse d'un parfum, la mort d'un être cher. Après les animaux, les roses,
les photographies, les calendriers et les livres, les humains semblent touchés
: une partie de leur corps va les abandonner. En ces lieux demeurent pourtant de singuliers personnages. Habités
de souvenirs, en proie à la nostalgie, ces êtres sont en danger. Traqués par
les chasseurs de mémoires, ils font l'objet de rafles terrifiantes... »
Pour quel lecteur ?
Deux mots me viennent à l’esprit pour qualifier Cristallisation
secrète : onirique et effrayant. Yoko Ogawa est une poétesse, une
magicienne qui nous invite dans un roman plein d’étrangeté. La question de la
mémoire est placée au centre de ce roman, comme dans Amours en marge ou Parfum de glace, deux autres romans magnifiques du même auteur.
Le lecteur sentimental sera très sensible à cette écriture
délicate et pudique, qui décrit la mémoire comme étant un lien émotionnel et
affectif nous reliant les uns aux autres, et qui perdure ou au contraire s’étiole
avec le temps qui passe. Qui n’a jamais été ému ou troublé par un parfum, un
son, un goût qui le rappelle à son enfance (Madeleine de Proust) ou, au
contrainte, n’a jamais été frustré à l’idée d’avoir oublié des instants précieux ?
La mémoire est un rideau de fumée. La mémoire est insaisissable, traitre. Elle nous
abandonne lorsque nous voudrions la retenir, et elle s’impose à nous alors que
nous voudrions nous en libérer.
La force de ce roman est de traiter d’un sujet aussi délicat,
aussi insaisissable que la mémoire tout en créant un monde où les personnages
sont soumis à un régime politique totalitaire et omnipotent, qui rappelle l’Allemagne
nazie ou la Chine de Mao Tse-tung. Les lecteurs un brin philosophes pourront s’intéresser
à ce roman comme étant une incroyable métaphore des régimes autoritaires, décrivant
la manière dont ils sont capables de laver le cerveau des masses, et de refondre
la mémoire collective selon leurs désirs. Bien que ce livre soit le récit du
manque, qu’il soit matériel ou affectif, c’est aussi une histoire axée sur la
résistance, dans sa dimension la plus intime.
C’est un peu comme si James Barrie avait rencontré Hannah Arendt…
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