mardi 20 octobre 2015

Cristallisation secrète de Yoko Ogawa

De quoi ça parle ?
« L'île où se déroule cette histoire est depuis toujours soumise à un étrange phénomène : les choses et les êtres semblent promis à une sorte d'effacement diaboliquement orchestré. Quand un matin les oiseaux disparaissent à jamais, la jeune narratrice de ce livre ne s'épanche pas sur cet événement dramatique, le souvenir du chant d'un oiseau s'est évanoui tout comme celui de l'émotion que provoquaient en elle la beauté d'une fleur, la délicatesse d'un parfum, la mort d'un être cher. Après les animaux, les roses, les photographies, les calendriers et les livres, les humains semblent touchés : une partie de leur corps va les abandonner. En ces lieux demeurent pourtant de singuliers personnages. Habités de souvenirs, en proie à la nostalgie, ces êtres sont en danger. Traqués par les chasseurs de mémoires, ils font l'objet de rafles terrifiantes... »
 
Pour quel lecteur ?
Deux mots me viennent à l’esprit pour qualifier Cristallisation secrète : onirique et effrayant. Yoko Ogawa est une poétesse, une magicienne qui nous invite dans un roman plein d’étrangeté. La question de la mémoire est placée au centre de ce roman, comme dans Amours en marge ou Parfum de glace, deux autres romans magnifiques du même auteur.
Le lecteur sentimental sera très sensible à cette écriture délicate et pudique, qui décrit la mémoire comme étant un lien émotionnel et affectif nous reliant les uns aux autres, et qui perdure ou au contraire s’étiole avec le temps qui passe. Qui n’a jamais été ému ou troublé par un parfum, un son, un goût qui le rappelle à son enfance (Madeleine de Proust) ou, au contrainte, n’a jamais été frustré à l’idée d’avoir oublié des instants précieux ? La mémoire est un rideau de fumée. La mémoire est insaisissable, traitre. Elle nous abandonne lorsque nous voudrions la retenir, et elle s’impose à nous alors que nous voudrions nous en libérer.
La force de ce roman est de traiter d’un sujet aussi délicat, aussi insaisissable que la mémoire tout en créant un monde où les personnages sont soumis à un régime politique totalitaire et omnipotent, qui rappelle l’Allemagne nazie ou la Chine de Mao Tse-tung. Les lecteurs un brin philosophes pourront s’intéresser à ce roman comme étant une incroyable métaphore des régimes autoritaires, décrivant la manière dont ils sont capables de laver le cerveau des masses, et de refondre la mémoire collective selon leurs désirs. Bien que ce livre soit le récit du manque, qu’il soit matériel ou affectif, c’est aussi une histoire axée sur la résistance, dans sa dimension la plus intime.
C’est un peu comme si James Barrie avait rencontré Hannah Arendt

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